Parents : Bonjour, pouvez-vous présenter ?
Julie : Bonjour, je m'appelle Julie, j'ai 37 ans, je vis à Paris avec mon mari Thomas, ma fille Olivia, qui a 5 ans et demi. Je suis aussi la maman de trois bébés qui n'ont pas pu vivre à cause d'une maladie génétique encore non identifiée à ce jour.
Comment peut-on se remettre de cette épreuve ?
Le deuil périnatal, de toute façon, c'est une expérience très solitaire. Fondamentalement, personne ne pourra jamais se mettre à la place des parents qui le vivent. Par contre, le message que j'aimerais faire passer à l'entourage, c'est que même si cela vous fait peur, même si vous ne comprenez pas ce que les parents vivent, vous pouvez faire une différence, et cette différence, vous pouvez la faire en étant là. Vous pouvez la faire en appelant, vous pouvez la faire en étant présent. Si vraiment vous avez peur de prendre contact avec les parents, parce que c'est tout à fait compréhensible, vous craignez que le parent se mette à pleurer, vous craignez de ne pas savoir comment gérer finalement ces réactions, envoyer un mail, un SMS, une carte, un colis, vraiment, ça fait énormément de bien.
Quand vient le désir de grossesse ?
J'ai un parcours assez classique, je tombe amoureuse, je me marie. On décide de fonder une famille, je tombe enceinte, très vite, la grossesse se passe bien. Le début de grossesse se passe bien. On passe l'échographie du premier trimestre, tout va bien, c'est une petite fille. Je continue de travailler, je vis ma vie, et puis, on arrive à l'échographie du deuxième trimestre. C’est l’échographie “morphologique”, parce qu’elle doit vérifier si le bébé va bien. Il y a des problèmes de santé, d'alerte, pendant l’échographie. Le médecin reste très silencieux, elle ne dit rien. Elle se concentre, l’écho dure très longtemps. A ce moment-là, je ne peux pas soupçonner qu'il y a un problème.
On n'a jamais eu d'histoires d'enfants décédés ou de bébés mort-nés dans nos familles respectives. En tout cas, pas des histoires que l’on connaît, on s'est rendu à l'écho avec plein d'espoir. On était vraiment dans l'optique de voir notre bébé, puis, le médecin qui est une femme, s'arrête, repose la sonde et nous dit : « Rhabillez-vous, il y a un problème ». Elle nous explique que le bébé a des graves malformations au cerveau et elle ne sait pas ce que c'est. Le bébé est beaucoup trop petit, et elle me renvoie finalement vers mon obstétricien pour qu’il puisse m'adresser à un Centre de diagnostic prénatal, pluridisciplinaire, où il y a plein de médecins qui vérifient et qui suivent les grossesses à haut risque. Et qui, justement, suivent les femmes comme moi, dont le bébé présente des malformations, ou en tout cas des maladies détectées. Donc, je suis adressée vers un centre de diagnostic prénatal, ils font tout un tas d'examens, ça dure trois semaines, j'ai des prises de sang, une amniocentèse, mais on ne sait toujours pas ce qu’il a. Tout ce qu'on voit, c'est que les malformations continuent d'évoluer et s’aggravent même. Elles sont tellement importantes que le bébé décédera soit in utero, soit à la naissance. Donc, mon mari et moi, on décide de faire ce qu'on appelle une interruption médicale de grossesse.
L'interruption médicale de grossesse, je vais être très claire, je n'en avais jamais entendu parler avant, je ne savais même pas que c'était possible. En effet, je suis à six mois de grossesse, et dans mon univers à moi, les bébés ne mouraient pas car ils n'avaient pas de problème.
On m'avait toujours dit, passé les trois premiers mois : « Ne t’inquiète pas, tout ira bien ». J'ai mangé ce qu'il fallait, je n’ai pris aucun risque pendant la grossesse, et là, on m'annonce que mon bébé ne va pas vivre, c'est le ciel qui me tombe sur la tête à ce moment-là.
Je suis prise en charge au bout de quelques semaines dans l'hôpital où j’accouche, puisque j'apprends que lorsque le bébé décède pendant la grossesse, quelle que soit la cause, on doit accoucher. J’accouche donc de ma petite Maya, qui est le plus beau bébé du monde, que je prends dans mes bras pour lui dire au revoir, qui est aujourd'hui inscrite dans notre livret de famille. Lorsque je rentre à la maison, je me sens très seule. Autant j'étais très entourée et très suivie pendant toute l'étape du diagnostic – j'ai reçu des colis, des cartes, on m'a appelé, les médecins étaient très présents aussi – autant quand je rentre à la maison, je suis seule, vraiment et fondamentalement seule.
Les gens s'imaginent que le pire est derrière moi et que maintenant, ça va aller. En réalité, ce n’est pas vrai du tout, le pire dans le deuil périnatal, et je pense que tous les parents pourront vous le dire, c'est quand on se retrouve tout seul chez soi et que l’on a tout ce chemin de deuil à faire et que finalement, les gens attendent de nous que l’on soit fort, que l’on passe à autre chose et, que l’on se remette sur pied très vite. La vie normale ne peut pas reprendre, on a perdu notre bébé, c'est insoutenable comme perte.
Donc je me retrouve seule avec mes questions, mes angoisses quand j'essaie d'en parler autour de moi, on me dit toujours : « Ah mais ne t'inquiète pas, tu vas retomber enceinte, tout ira bien ! ».
Je peux vous le dire aujourd'hui, sept ans après, on n'oublie pas, et c'est normal, ne pas oublier vraiment, c'est très normal. Mais effectivement, par contre, je retombe enceinte très vite, et ce que les gens non plus ne soupçonnent pas à ce moment-là, c'est que cette grossesse est insoutenable au niveau du stress et des angoisses. J’ai basculé dans un univers où les bébés peuvent mourir. Finalement, je passe neuf mois à me dire « et si ça se reproduit ? ». Parce qu’on n'a pas trouvé de cause, on ne sait pas pourquoi notre petite Maya était si malade. Je me demande : « Qu'est ce qui me dit que ça ne va pas recommencer » Et donc, du coup, c'est une grossesse qui est très stressante. Les gens ne le comprennent pas, ils s'attendent à ce que je sois épanouie, qu'enfin je sois heureuse parce que je porte la vie à nouveau, mais c'est plutôt tout le contraire qui se produit. J'ai beaucoup de chance, ma fille naît en vie en 2015, ma petite Olivia, qui va très bien aujourd'hui.
Vous décidez d’avoir un autre bébé, avez-vous eu peur que la même chose se reproduise ?
Deux ans plus tard, on se pensait un peu plus à l'abri, on décide de relancer un projet de grossesse. Je retombe enceinte à nouveau très vite, c'est une vraie chance dans mon parcours. Mais à nouveau une récidive, comme pour ma petite fille.
Le bébé présente les mêmes malformations au même stade et on doit repasser à nouveau par un suivi en Centre de diagnostic prénatal et à nouveau, donc, une interruption médicale de grossesse. Ce n'est pas plus simple la deuxième fois que la première. Ça, c'est aussi quelque chose que les gens ne soupçonnent pas, on pourrait imaginer que c'est bon, ça va, les parents sont passés par là, donc maintenant, tout ira bien. En fait, c'est très difficile, je replonge à nouveau dans le deuil périnatal avec toujours cette immense solitude. Ce qui est compliqué aussi, c'est qu’au travail, mon chef de l'époque ne sait pas gérer, donc, il me met au placard. Les amis appellent moins, autant, la première fois, j'avais plein de cartes, plein de colis, autant cette fois-ci, comme je suis passée par là, on se dit : « Pourquoi s'embêter à prendre de ses nouvelles ! ».
Comment vous est venue l’idée de créer votre compte Instagram ?
Julie : Je suis encore plus seule que la première fois si c'était possible, toutefois, Deux ans passent. Je crée un compte Instagram qui s'appelle : « À nos étoiles » parce que justement, c'est cette solitude qui était absolument insoutenable dans laquelle j'ai été plongée la deuxième fois. Je me suis dit à un moment, ce n’est pas possible, en fait, que d'autres femmes la vivent. Si les gens ne sont pas capables d'être là pour nous, si l'entourage n'est pas capable d'être là pour nous, il faut que nous, on soit capables d'être là les unes pour les autres. Donc, j'ai créé « A nos étoiles », au départ comme un compte communautaire d'entraide, de conseils, de soutien.
Quelque temps plus tard, j’étais de nouveau enceinte. Et j’ai fait une fausse couche, perdant mon bébé pour la troisième fois.
Le message principal, c'est vraiment que c'est normal, de ne pas aller bien après la mort de son bébé. Je sais que ça pourrait tomber sous le sens, mais c'est quelque chose qui va tellement à l'encontre des idées reçues qu'on en finit par se culpabiliser quand on perd son bébé, d'être triste et d'aller mal. C’est ce qui m'est arrivée à l'époque et ce n'est pas normal !
Ce n'est pas normal non plus de rentrer chez soi une fois le bébé décédé et d'être seul, en fait. C'est pour ça que j'ai créé ce compte, et on a depuis énormément d'autres comptes sur le deuil périnatal qui ont commencé à fleurir sur Instagram et sur d'autres réseaux sociaux, et d'autres qui existaient déjà depuis beaucoup plus longtemps.
On a beaucoup d'associations qui sont là, et c'est merveilleux, parce que plus on sera nombreux en parler, et plus justement, on pourra libérer la parole autour de ce tabou. Parce que le deuil périnatal, c'est un tabou immense.