Nicolas et Julie forment un couple uni et heureux. C'est à la naissance de leur petit Nino que la jeune maman apprend qu'elle a un cancer, à seulement 30 ans. Elle nous raconte.
« Quand nous nous sommes rencontrés, Nicolas et moi, nous sommes partis en voyage. Oui, ensemble et en “camouille” (c’est-à-dire en camion !) et surtout… très longtemps. À quoi bon se donner une date de retour ! Pays-Bas, Allemagne, Pologne, Croatie, nous avons fait comme nous voulions, juste au gré de nos envies. Premier mois, onze pays au compteur ! On comptait partir neuf mois, on se connaissait depuis un an, on tenait le bon rythme. Et là, je suis est tombée enceinte ! Au bord d’un lac, en Croatie. Lituanie, Lettonie, Estonie, nous avons continué de voyager, avec le petit haricot qui poussait… Une pause gynéco en Finlande, un max de questions dans nos têtes, mais voilà : nous allions devenir parents, et c'était magnifique. C'est vrai que je me sentais très fatiguée, mais c'est normal quand on est enceinte… On en a bien profité quand même… les apéros en moins ! Notre “camouille” était notre maison, on l’aimait beaucoup, lui et notre quotidien. Et surtout, on avait confiance en notre avenir.
Et puis, il est arrivé, ce petit globe-trotter : après un accouchement sportif, Nino a vu le jour. On a vite fait connaissance et géré le manque de sommeil. J'ai même composé avec une bourrique d’aide-soignante digne de Cruella d’enfer, qui aboyait sans cesse au lieu de me donner des conseils. Hélas, c’est aussi elle qui a palpé mon cou quand juste après l’accouchement, à la clinique, je me suis étonnée en découvrant deux boules sous ma peau. Au lieu de s’en inquiéter ou d’en parler à ses supérieures, l’aide-soignante m'a balancé son humour noir : « C’est peut-être parce que vous avez les boules ! » Oui, c’est cette aide-soignante qui a ignoré l’apparition de mon lymphome de Hodgkin. Tout simplement ignoré mon cancer.
J'ai fini par consulter. Et là, le verdict est tombé. Un cancer, à 30 ans, au moment même où je devenais mère. Est-ce que c’est possible ? Est-ce que c’est juste ?
Un cancer, à 30 ans, au moment même où je devenais mère. Est-ce que c’est possible ? Est-ce que c’est juste ?
Immédiatement, je vais chercher des infos sur internet. Soulagement, le Hodgkin se soigne à 85 %. Mais si je faisais partie des 15 % ? Et puis, je ne compte pas survivre dix ou vingt ans, mais vivre jusqu’à 80 ans ! Nicolas est à mes côtés, et pourtant, je m’effondre, de peur et de chagrin. Il veut à tout prix m'éviter la peur et la spirale infernale de l’angoisse. Chaque jour, il fait tout pour me comprendre, pour garder le dialogue. Nico, l’éternel optimiste, devient alors plus grave, plus triste. De mon côté, assez vite, j'ai ressenti une immense culpabilité. Coupable de me présenter affaiblie, sans cheveux, triste, et amère envers la Terre entière. Coupable d’imposer ce nouveau vocabulaire – hématologie, biopsie, cathéter, radiothérapie, chimiothérapie. Le lymphome est un cancer qui touche tout le système immunitaire. J'ai commencé à écrire un carnet, qui devait être celui de la colère mais qui, avec le temps, est devenu celui de la guérison. Et de mes confidences.
J'y parle de Margaux, ma chère amie à qui j'en veux tant. Je n'ai pas compris sa violence quand elle a appris ma maladie. Ses mots ont été pour moi de vrais coups de poignard. Margaux s’étonne d’abord qu’on congèle mes ovocytes. « Quoi ? Tu comptes faire d’autres enfants ? Et si le cancer revient ? » Elle a carrément ricané de notre projet de mariage… Elle m'a vue condamnée, c’est très clair, condamnée à abandonner mes rêves et ma vie. J'ai fini par lui écrire, mais sa réponse a enfoncé le clou : « A quoi bon être amies si c’est pour te cacher la vérité ? » Oui, je souffre d’une maladie mortelle. Mais ai-je envie qu’on me lui dise ? Bon, évidemment, notre amitié en a pris un sacré coup. Tous les amis ne sont pas à mettre dans le même sac. Même si j'ai ressenti la gêne de certains à aborder le sujet, je les ai compris. J'ai alors pris la force, la confiance en l’avenir chez ceux, généreux, qui savaient me parler, et je me suis éloignée de ceux qui me fuyaient.
Autant être bien accompagnée dans ces moments-là, car les effets de la chimio, c’est comme une grosse cuite à gérer pendant trois jours. Mes cheveux sont tombés, j'ai souffert d’une mucite – des champignons douloureux sur la langue – et mon moral a fait du trampoline. Pour tenir le cap, j'ai tenu un carnet, certaine qu’à un moment cette maladie allait me dire quelque chose ! En tout cas, j'ai bien compris ce qu’était la chimio. Si le corps est tellement malade quand il subit des chimiothérapies, c’est parce qu’il se rebelle. Certes, elles sont pratiquées pour tuer les mauvaises cellules, mais elles tuent aussi les bonnes, alors le corps se rebiffe. Et puis, à l’hôpital, le plateau-repas, c’est saucisse-flageolets, même sous chimio, donc pour les nausées, j'ai dû m'adapter !
« Notre bout de chou n'a que 4 mois et sa maman a une perruque sur la tête. »
Les mois passent. Mes globules blancs tombent en chute libre, mais je prends le rythme. Chimio, nausées et effets secondaires, brève respiration, et chimio de nouveau… Notre bout de chou n’a que 4 mois et moi, sa maman, j'ai une perruque sur la tête ! Mais nous n’oublions pas nos projets : on a toujours prévu de se marier ! Grand mariage ou petit comité ? Et puis la robe, la coiffure (bon, ça, c’est juste pour rire)… Que c'est bon, ce mariage !
A la fin des quatre mois de traitement, on m'a annoncé que j'étais en rémission. Évidemment, le bonheur total devrait triompher, mais là, il s'est passé une chose étrange. Je me suis sentie emportée par le vide. La lutte est finie, le combat est gagné. Et maintenant, on fait quoi ? J'avais le sentiment d’avoir fait aboutir notre combat contre la mort, mais, guérie, je me sentais comme en stand-by. Il faut attendre le retrait du cathéter, il faut attendre que mes cheveux repoussent… Il faut reprendre la vie, certes, mais pour aller où ? Il m'a fallu un temps pour digérer tout ce qui s’est passé en si peu de temps.
Petit à petit, j'ai remonté la pente et retrouvé l'espoir. Nicolas m'a beaucoup aidée. J'ai aussi vu un psychologue à l’hôpital. Bien sûr, je dois attendre cinq ans pour entendre parler de “rémission totale”, bien sûr je vais devoir surveiller ma santé de près et pratiquer chaque année des examens approfondis, mais je peux dire qu'après cette maladie, ma vision de la vie a évolué. Prendre soin de son corps et de sa santé est essentiel. Du coup, il m'arrive de pester contre les gens qui fument ou contre ceux qui ne prennent pas soin d’eux. Je sais aujourd’hui combien vivre est un trésor précieux ! Aussi précieux que d’entourer ceux que l’on aime.
Bientôt, nous aurons quelqu’un de plus à aimer dans la famille : la petite fille que nous attendons. Car la vie, cette fois encore, ne nous a pas fait défaut. Le mois prochain, elle sera avec nous… Et tous ensemble, Nino et nous deux, on y croit.
Retrouvez le récit de Julie « On a découvert mon cancer à la naissance de mon bébé » dans le livre, “Des grains de sable sur la route du bonheur", de Julie et Nicolas Besnard (éd. Coëtquen)