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Témoignage : « En devenant mère, j'ai réussi à surmonter mon abandon »

Témoignage : « En devenant mère, j'ai réussi à surmonter mon abandon » © Lady Bug

Publié le par Jessica Bussaume

Une naissance à Bombay, l'abandon, l'orphelinat… puis l'arrivée en France à 1 an et l'adoption.  Jeune maman aujourd'hui, elle nous raconte comment la maternité l'a aidée à surmonter ces épreuves.   

« Je suis une enfant adoptée, je ne connais pas mes origines. Pourquoi m’a-t-on abandonnée ? Ai-je subi des violences ? Suis-je le fruit d’un inceste, d’un viol ? M’a-t-on trouvée dans la rue ? Je sais seulement que j’ai été placée à l’orphelinat de Bombay, avant de venir en France à un an. Mes parents ont fait de ce trou noir une couleur, m'apportant soins et amour. Mais une noirceur aussi. Car l’amour que l’on reçoit n’est pas forcément celui qu’on attend. 

Au début, avant l’école primaire, ma vie a été joyeuse. J’étais entourée, choyée, adorée. Même si parfois je cherchais en vain une ressemblance physique avec mon père ou ma mère, notre joie de vivre au quotidien prenait le pas sur mes questions. Et puis, l’école m’a transformée. Elle a fait de mes angoisses mon caractère. C’est-à-dire que mon hyperattachement aux gens que je rencontrais est devenu une façon d’être. Mes amies en pâtissaient. Ma meilleure amie, que j’ai gardée durant dix ans, a fini par me tourner le dos. J’étais exclusive, pot de colle, je réclamais d’être la seule et, pire que tout, je n’admettais pas que les autres diffèrent de moi dans leur façon d’exprimer leur amitié. Je me suis rendu compte à quel point la peur de l’abandon m'habitait.

J'avais l'impression que mes appels à l'aide passaient pour des caprices. A force de travail sur moi, j'ai compris que le problème n'était pas l'adoption en soi, mais l'abandon de départ. 

À l’adolescence, j’ai manqué cette fois de l’amour d’un garçon. Mon vide identitaire a été plus fort que tout et j’ai recommencé à ressentir un mal de vivre prononcé. Je suis devenue accro à la nourriture, comme à une drogue. Ma mère n’avait pas les mots pour m’aider, ni un contact assez proche. Elle minimisait. Était-ce par anxiété ? Je ne sais pas. Ces maux étaient pour elle, ceux, normaux, de l’adolescence. Et cette froideur m’a fait mal. J’ai voulu m’en sortir toute seule, car j’avais l’impression que mes appels à l’aide passaient pour des caprices. J’ai pensé à la mort et ce n’était pas une fantaisie adolescente. Par chance, je suis allée voir un magnétiseur. À force de travail sur moi, j’ai compris que le problème n’était pas l’adoption en soi, mais l’abandon de départ.

À partir de là, j’ai compris tous mes comportements extrêmes. Mon abandon, ancré en moi, me rappelait sans cesse que je ne pouvais pas être aimée longtemps et que les choses ne duraient pas. J’avais analysé, certes, et j’allais pouvoir agir et changer ma vie. Mais au moment d’entrer dans le monde du travail, une crise existentielle s’est emparée de moi. Mes relations avec les hommes m’affaiblissaient au lieu de m’accompagner et de me faire grandir. Ma grand-mère adorée est morte, et son amour immense me manquait. Je me sentais très seule. Toutes les histoires que j'ai eues avec les hommes se sont vite achevées, me laissant un amer goût d’abandon. Écouter ses besoins, respecter le rythme et les attentes de son partenaire, c’était un joli challenge, mais pour moi si difficile à réaliser. Jusqu’à ma rencontre avec Mathias.

Mais avant, il y a eu mon voyage en Inde, vécu comme un moment clé : j’ai toujours pensé que c’était une étape importante de l’acceptation de mon passé. Certains m’ont dit que ce voyage était courageux, mais moi j’avais besoin de voir la réalité en face, sur place. Je suis donc retournée à l’orphelinat. Quelle claque ! La pauvreté, l’inégalité m’ont terrassée. Dès que je voyais une petite fille dans la rue, elle me renvoyait à quelque chose. Ou plutôt à quelqu’un…

L’accueil à l’orphelinat s’est bien passé. Ça m’a fait du bien de me dire que l’endroit était sûr et accueillant. Ça m’a permis de passer un cap. J’y étais allée. Je savais. J’avais vu.

J’ai rencontré Mathias en 2018, à un moment où j’étais disponible émotionnellement, sans a priori ni critique. Je crois en son honnêteté, en sa stabilité émotionnelle. Il exprime ce qu’il ressent. J’ai compris qu’on peut s’exprimer autrement qu’avec les mots. Avant lui, j’étais certaine que tout était voué à capoter. J’ai aussi confiance en lui comme père de notre enfant. On a vite été d’accord sur l’envie de fonder une famille. Un enfant n’est pas une béquille, il ne vient pas pour combler un manque affectif. Je suis tombée enceinte très vite. Ma grossesse m’a rendue plus vulnérable encore. J’avais peur de ne pas trouver ma place de mère. Au début, j’ai beaucoup partagé avec mes parents. Mais depuis que mon fils est né, notre lien s’est établi clairement : je le protège sans le surprotéger. J’ai besoin d’être avec lui, qu’on soit tous les trois dans une bulle.

Il y a quelques jours, en regardant mon bébé couché dans son berceau à la maternité, j’ai pensé "Mais comment peut-on abandonner son enfant ?" 

Cette image-là, je l’ai encore, et je ne l'oublierai pas. Elle me fait de la peine. Je me suis imaginée à sa place. Mais mon fils aura sa vie, moins parasitée que la mienne j’espère, par la peur de l'abandon et la solitude. Je souris, car je suis sûre que le meilleur est à venir, à partir du jour où on le décide. 

Ce témoignage est tiré du livre “De l'abandon à l'adoption”, par Alice Marchandeau

 

De l'abandon à l'adoption, il n'y a qu'un pas, qui peut mettre parfois plusieurs années à se concrétiser. Le couple heureux en attente d'un enfant, et, de l'autre côté, l'enfant qui n'attend qu'une famille pour être comblé. Jusque-là, le scénario est idéal. Mais ne serait-ce pas plus subtil ? La blessure causée par un abandon cicatrise difficilement. Crainte d'être de nouveau abandonné, se sentir mis de côté... L'auteur, enfant adoptée, nous donne ici à voir les différents aspects d'une vie blessée, jusqu'au retour aux sources, dans le pays d'origine de l'enfant adopté, et les bouleversements que cela entraîne. Ce livre est aussi une preuve forte que le traumatisme d'abandon se surmonte, qu'il est possible de construire une vie, sociale, affective, amoureuse. Ce témoignage est chargé d'émotions, qui parleront à chacun, adoptant ou adopté.

 

Par Alice Marchandeau, éd. Les Auteurs libres, 12 €, www.les-auteurs-libres.com/De-l-abandon-a-l-adoption

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