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Témoignage : « Je n'avais pas pris la mesure du chamboulement que ma maternité allait représenter »

témoignage maman de jumeaux © Istock

Publié par Jessica Bussaume  |  Mis à jour le par Gaëlanne Biarez

Pas facile de passer de « l’absence totale d’horloge biologique » à… maman de deux enfants ! Pom Ehrentrant, auteur de « La folle aventure d’une mère de jumeaux », nous livre un récit jubilatoire de sa découverte de la maternité. Extraits.

« « Deux ? Vraiment ? » Quand j’ai appris que j’attendais des jumeaux, j’ai prononcé plein de phrases idiotes. Avec le futur papa, on est partis dans un concours de balivernes ! A nous deux, on a été très forts : « En une seule fois, c’est fait ! », ou encore « les jumeaux, ça rime avec rigolo ». J’avais l’air joyeuse. Est-ce que je l’étais ? Difficile à dire. J’étais anesthésiée.

C’était neutre : c’était ce qu’on s’était dit, d’accord, et ça marchait suivant notre plan. Je n’ai pas abordé la nouvelle frontalement, puisqu’au départ je ne voulais pas d’enfant. C’était un sujet assez problématique entre mon mari et moi, même si j’avais été claire dès le départ. Ça faisait dix ans que nous étions ensemble et, le temps passant, mon refus était devenu pour lui une vraie souffrance. J’ai réfléchi, pour lui, sur moi. J’ai cherché à savoir d’où venait cette absence totale d’horloge biologique. Et un jour, par amour pour lui, je me suis décidée à faire un enfant. Je n’avais pas envie d’être maman. Je l’ai fait pour mon mari, et pour l’idée du petit être à qui j’allais offrir la possibilité d’une vie. »

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“Ça faisait dix ans que nous étions ensemble et, le temps passant, mon refus était devenu pour mon mari une vraie souffrance. J’ai réfléchi, pour lui, sur moi. J’ai cherché à savoir d’où venait cette absence totale d’horloge biologique.”

« Une naissance géméllaire n'est pas un détail »

« (… ) L’important, à ce moment-là, était que j’étais encore libre. Je n’avais pas compris ou pris la mesure du chamboulement que ma maternité allait représenter. Et ils sont arrivés : Tancrède et Trystan. Deux larves et la panique, au premier regard. Petites merveilles et immense amour, au deuxième. Mais il a fallu vivre ce basculement. Une naissance gémellaire n’est pas un détail, mais être maman n’est pas non plus une révélation absolue pour tout le monde : on ne naît pas maman. Ça nous tombe dessus autrement, et chacune le vit à sa façon et à son rythme.

Quand j’ai vu leurs deux petits corps arriver dans ma chambre, j’ai pensé un gros mot (qui commence par « pu » et finit par « ain ») : ce n’est pas politiquement correct de l’avouer, mais ce moment a été anxiogène. Et puis, j’ai plongé mes yeux dans ceux d’un de mes fils. Là, j’ai compris l’aspect surnaturel de l’aventure, dans le sens où on ne contrôle rien, où on ne décide pas. C’est indépendant de la volonté, on a beau faire des plans, la vie s’arrange heureusement pour que ça se passe parfois autrement. »

« Je trouvais mon métier vide de sens »

« Le retour à la maison a été le début de la fin : un doigt dans l’engrenage, et j’ai été happée. Je ne pouvais plus reculer et je devais pédaler, sauf à me casser la figure dans le cercle infernal où tout s’enchaînait, sans pause, sans aide. J’avais fait mes enfants par amour, portée par la promesse de mon mari d’être présent, à mes côtés. Or, quand les enfants sont arrivés, mon mari est parti six mois à New York. Là, s’est construite une thématique majeure de notre couple : la trahison initiale. Le contrat de confiance était rompu. Il avait pourtant dit : « Je serai là. »

J’ai repris le travail, mais la déprime s’est intensifiée. Ma priorité dans la vie avait été déplacée et j’avais changé de perspective sur les choses et l’existence : du coup, je trouvais mon métier vide de sens, à me battre comme un gladiateur pour vendre de l’espace publicitaire, alors qu’on vit sur une planète qui crève. Je me dégoûtais. Je ne trouvais plus de sens à nourrir ce cercle malsain. »

« J’ai traversé une grande déprime. »

« Mon mari est rentré de New York et nous sommes partis vivre à Mexico. J’étais enthousiaste. Je suis fille d’expatrié et je connais bien ces automatismes de vie : le seul problème pour moi n’était pas de quitter la France, c’était de devenir femme au foyer avec la frustration, l’interrogation perpétuelle, le petit vélo dans la tête : « Est-ce que je vais vraiment être rien ? »

Un mois, six mois, un an… J’ai senti que je me déclassais, que mon CV perdait des lignes. Il y avait le changement, le soleil, mais toujours les purées à mixer et rien d’autre qu’un moulin dans ma tête. J’ai traversé une grande déprime. Mon couple s’est fracassé comme des verres sur le sol. Il y avait eu cette perte de confiance initiale, doublée d’un épuisement physique et intellectuel. Je ne trouvais pas de salut auprès de mon mari, car lui-même avait ses tracas, plongé dans un monde de travail compliqué à gérer. J’ai de moins en moins communiqué. Avouer que je sombrais aurait été un constat d’échec.

Être mère au foyer est censé être plus facile que se battre dans l’arène professionnelle, non ? J’ai donc passé un long temps à ruminer, retournant ce bazar dans ma tête jusqu’à ce que l’adaptation au pays soit faite : on parlait espagnol, les enfants étaient à l’école et j’ai enfin pu me poser la question de moi. Je crois qu’il faut le temps de la lassitude, le temps de ruminer. Et c’est ma prof d’espagnol qui m’a sauvé la vie. Elle a vu mes larmes aux yeux quand elle m’a demandé ce que je faisais dans la vie. Mon corps refusait la situation. Depuis, j’ai appris à l’écouter, d’ailleurs. Ma prof, rien que par sa question, m’a fait changer d’œil sur moi-même. Je devais réagir. »

“Être mère au foyer est censé être plus facile que se battre dans l'arène professionnelle, non ?”

« J’écrivais régulièrement des billets sur notre vie pour informer la famille, et j’ai décidé de transformer ces mails en blog. La plateforme du blog a pris de l’ampleur à Mexico. J’écrivais cinq posts par semaine, quatre sur les interrogations parentales et le couple, et le cinquième sur une sortie culturelle. J’ai pris confiance. Écrire chaque jour, c’est du boulot et de l’engagement. Je n’avais aucune preuve de ce que j’étais capable de faire et je voulais progresser. Devant ce bon accueil, je me suis posé la question de l’étape suivante : plein de gens m’encourageaient. Et j’ai décidé d’écrire un livre. Symboliquement, j’ai gagné trois francs six sous, mais qu’un éditeur soit d’accord pour me publier, c’était la preuve que quelqu’un dans le monde professionnel reconnaissait que j’avais une valeur… Être « validée » a été très important ! »

« Mes enfants m'ont épuisée et révélée »

« Aujourd’hui, je peux dire que j’ai trouvé mon chemin : j’adapte ma vie professionnelle à ma nouvelle vie, donc je suis indépendante et je me rends compte que c’est ma passion. L’écriture m’a fait faire la paix avec moi-même et ma situation. Je n’ai jamais su ce que je voulais faire, je n’avais pas trouvé « mon truc ». Quand je suis entrée à Sciences Po, je vomissais : ce chemin n’était pas pour moi. Oui, écoutez ce que vous dit votre corps, il sait avant vous !

Je peux dire aujourd’hui que voyager est mon ADN. Je sais aussi que quelqu’un peut vous faire à la fois du bien et du mal. C’est notre condition humaine. À un moment, mon mari a été la cause de mes malheurs, mais c’est lui aussi qui m’a permis de m’en sortir, en m’offrant la vie dont j’ai besoin. Quant à mes enfants que j’ai vus comme une source de mal-être et d’incapacité, ce sont aussi eux qui paradoxalement m’ont sortie du puits. Ils m’ont épuisée et révélée. Ils m’ont aussi fourni mon premier sujet d’écriture… »

Extraits recueillis par Jessica Bussaume

Retrouvez le récit de Pom Ehrentrant dans : “La Folle aventure d’une mère de jumeaux”, éd. La Source vive, 204 p., 9,90  €.

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