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Le “dad blessing”, qu'est-ce que c'est ?

père qui lit un livre avec son fils © LumiNola / Getty Images

Publié le par Laura Boudoux

En collaboration avec Illana Weizman (Sociologue) et Cédric Rostein (Auteur)

Applaudir les pères pour la moindre action parentale, c’est ce qu’on appelle le « dad blessing », et c’est en réalité très toxique… Le décodage d'Ilana Weizman et de Cédric Rostein

 

« Tu as beaucoup de chance, c’est un père vraiment présent, il t’aide tellement avec les enfants ! » Cette phrase, de nombreuses mères l’ont déjà entendue, qu’elles aient un partenaire très impliqué dans l’éducation de leurs chérubins, ou qu’il lui ait suffi de changer une couche devant témoins pour se transformer en héros. La sociologue Illana Weizman et Cédric Rostein, auteur de “Tu vas être papa” (éd. First Éditions) et créateur du compte Instagram “Papatriarcat” analyse le phénomène du « dad blessing »

Le dad blessing, en quoi c’est problématique ?

Entre dad blessing et mum shaming : la différence de traitement réservé aux pères et aux mères est frappante, prenant racine dans la répartition très genrée des rôles. Aux femmes, on a historiquement attribué la responsabilité des soins et de toute la sphère privée, quand les hommes ont, eux, hérité du domaine public. L’instinct maternel, pure construction sociale, donnerait aux femmes de super-pouvoirs de maternage, leur permettant de jouer le rôle de leur vie : celui de la mère parfaite. A contrario, les hommes seraient mal équipés pour tout ce qui a trait au care, aux émotions et aux tâches du quotidien, et mériteraient d’être héroïsés au moindre biberon donné.

L’idée d’instinct maternel est délétère

La différence entre les attentes de la société en direction des pères et des mères est totalement inégalitaire : on attend tout des mères et rien des pères. Là où l’on considère comme merveilleux un effort qui n’était pas forcément attendu, et qui donne le statut de père investi, on voit chez la mère quelque chose de naturel, qu’on ne va donc pas féliciter, analyse la sociologue Illana Weizman. « Pour la femme, la maternité est le rôle suprême, il est naturalisé. On biologise le culturel pour inscrire les gens dans des schémas bien particuliers. Les femmes dans le maternage, la douceur et le care. Cette idée d’instinct maternel est très toxique, c’est un outil du patriarcat délétère », déplore l’experte.

Mais si l’avènement des “nouveaux pères” a été proclamé, on constate que seules 35 % des tâches parentales sont prises en charge par eux au sein des couples hétérosexuels, et qu’ils passent beaucoup moins de temps seuls avec les enfants que les mères.

Aux yeux de tous, les mères deviennent les référentes et les gardiennes absolues d’un savoir-faire, quand les pères se concentrent surtout sur des tâches plus gratifiantes. Rendez-vous médicaux, appels de la crèche pour enfant malade ou idées cadeaux : là encore, ce sont les mères qui sont sollicitées.

Pour lui, le rééquilibrage doit avoir lieu, mais pas de n’importe quelle manière. « Les mères ont demandé qu’il y ait moins de charge mentale, domestique et éducative, pas à ce qu’on leur pique les moments de jeux. Quand tu vas au parc, tu peux préparer le sac de ton enfant. Quand tu changes les couches, tu peux t’assurer du stock et en recommander », encourage celui qui a été nommé “référent carnet de santé et mode de garde” au sein de sa famille.

Sur les réseaux sociaux aussi, la maladresse des pères est célébrée, quand les mères sont souvent attendues au tournant, leurs actions scrutées et jugées. « Si les pères font des bêtises avec leurs enfants, c’est comique ou mignon. Si une mère fait le moindre écart, c’est vu comme une défaillance », regrette la sociologue Illana Weizman.

Cédric Rostein le remarque au quotidien : « Lorsque je porte ma fille en écharpe, les gens trouvent ça génial. À ma compagne, on demande : - Est-ce que tu as bien choisi l’écharpe ? Quel nouage as-tu fait ? », etc.

Le double effet pas cool sur la carrière

Une inégalité de traitement qui s’invite aussi dans la sphère professionnelle, avec des pères admirés et félicités pour leur “implication”, et des mères souvent culpabilisées. L’écart se creuse notamment à cause de la différence entre congé maternité et congé paternité, forcément pénalisante pour les mères, avec un effet double peine. Celles-ci restent ainsi seules avec leur bébé et sont éloignées plus longtemps que les hommes de leur poste.

De retour au travail, elles sont souvent plus absentes que les pères, prenant le relais en cas de maladie ou de grève de la crèche. C’est ainsi que 49 % des femmes déclarent que l’arrivée d’un premier enfant a eu un impact sur leur carrière, contre seulement 14 % chez les hommes. Elles sont 24 % à passer à temps partiel, contre 2 % des hommes.

« Dans mon entreprise, lorsqu’une mère prenait un congé parental, la direction estimait que c’était embêtant, mais normal. Moi, lorsque j’ai pris mon congé parental, on m’a dit que c’était super, je devenais un héros », se souvient Cédric Rostein. « C’est facile de tomber dans l’autocongratulation, car on a souvent face à nous des personnes qui cultivent des préjugés sexistes et qui se disent “admiratifs” », explique l’auteur.

L’idée de “nouveaux pères”, plus impliqués dans la vie de leurs enfants, date des années 1970, avec une volonté de faire mieux que les générations précédentes. Pour Illana Weizman, c’est un concept « dangereux », qui relève pour le moment d’un mythe.

Les gens ont l’impression que les pères ont changé. Le fait que les pères s’investissent plus dans l’éducation de leurs enfants est valorisé, mais dans les faits, ça ne bouge pas. Ces pères sont des licornes, pas du tout représentatives de la classe sociale des pères. Le fait de prendre un congé parental n’est pas la norme, il ne faut donc pas se focaliser sur eux », prévient la sociologue.

L’arnaque des nouveaux pères ?

De son côté, le créateur de “Papatriarcat” reconnaît que « les standards sont encore trop bas » et invite les papas à la responsabilisation. « Il existe une grande arnaque dans ce sujet des nouveaux pères. Sur les réseaux sociaux, on en voit en pleine activité de peinture… C’est bien beau, mais qui a acheté la peinture ? Qui a eu l’idée de l’activité ? Et qui va nettoyer ? Il y a une intention louable, mais la mise en application est à côté de la plaque », estime-t-il.

« Sur les réseaux sociaux, j’hallucine de voir des pères dire : - Je vais chercher mon enfant à la crèche, applaudissez-moi ! Quelle mère fait ça ? OK, je me dis que des pères qui ne le font pas les prendront peut-être en exemple, mais la forme m’interroge. Ça ne doit pas être un événement, mais quelque chose de normal », réclame Cédric Rostein.

Stop aux compliments

Rarement congratulées pour avoir réussi un changement de couche, les mères ne gagneraient-elles pas à être plus reconnues ? Pour Illana Weizman, la solution n’est pas là, mais bien dans « la répartition équitable des tâches ».

« Les rares compliments que l’on m’a faits ont toujours eu un effet positif. Il faut leur dire : - Tu fais bien, tu es forte, et redonner confiance aux mères, mais ça ne doit pas être une fin en soi. On ne devrait plus avoir à se faire encenser ou critiquer, mais que ça soit juste normal pour tout le monde de tout partager. On vivra alors plus sereinement nos maternités », renchérit-elle.

Si les hommes veulent afficher les pères contemporains qu’ils sont, cela devra passer par une normalisation. Ce n’est que descendus de leur piédestal qu’ils serviront de modèles à d’autres.

Cédric Rostein se demande, quant à lui, s’il « faut arrêter de féliciter les hommes, ou se mettre à féliciter les femmes », craignant la dérive de ces éloges à double tranchant. « Je vois ainsi des pères qui disent à quel point leur femme est formidable, ils décrivent une guerrière qui sait tout faire. Ils me font tristement rire, et j’ai envie de leur dire qu’ils ne se rendent pas compte à quel point c’est sexiste. Au lieu d’écrire un post qui dit que c’est génial qu’elle s’occupe des enfants et de la maison, va faire ces choses-là toi-même ! », martèle-t-il, se demandant avec philosophie si « le fait d’applaudir les soignant. e. s pendant le confinement a vraiment changé leurs conditions de travail »… 

OSZAR »