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Malbouffe dans les cantines scolaires : quand les parents s'en mêlent

enfants devant hamburger malbouffe © @KatarzynaBialasiewicz istock

Publié par Estelle Cintas  |  Mis à jour le par Ysabelle Silly

« Maman, c’est pas bon la cantine ! » En France, des parents s’organisent via des collectifs, des associations ou des groupes Facebook, pour faire changer les pratiques dans les cantines scolaires. Enquête dans des assiettes… pas toujours ragoûtantes !

« Cela faisait plusieurs années que je participais aux commissions restauration comme beaucoup de parents d’élèves", explique Marie, maman parisienne de deux enfants de 5 ans et 8 ans scolarisés dans le 18ème arrondissement. « J’avais l’impression d’être utile : nous pouvions faire des remarques sur les menus passés et dans « la commission menu », nous prononcer sur les menus à venir. Pendant des années, je me suis contentée de ça, comme beaucoup d'autres parents de l'arrondissement. Jusqu’à ce que, pour la énième fois, je discute avec une autre mère sur le fait que nos enfants ressortaient de l’école en étant affamés. Elle était bien décidée à trouver le moyen de comprendre concrètement quel était le problème et a décidé d'agir. Grâce à elle, j’ai ouvert les yeux.» Les deux mères de familles sont rapidement rejointes par un petit groupe de parents aussi inquiets. Ensemble, ils montent un collectif et se lancent un défi : photographier le plus souvent possible les plateaux repas servi chaque pour comprendre pourquoi les enfants les boudent. Chaque jour ou presque, les parents publient les photos sur un groupe Facebook « Les enfants du 18 mangent ça », accompagné de l’intitulé du menu prévu.

Cantine scolaire : malbouffe tous les midis

«Ca a été un premier choc : il y avait un vrai décalage entre l’intitulé du menu et ce qui se trouvait sur le plateau des enfants : l’émincé de bœuf disparaissait, remplacé par des nuggets de poulets, la salade verte de l’entrée annoncée au menu passait à la trappe et sous l'appellation flan caramel se cachait en fait un dessert industriel bourré d'additifs. Ce qui m’a le plus écœurée ? Des « allumettes végétales » immondes, baignant dans une sauce figée, qu’on a eu de la peine à identifier. » se souvient Marie. Le collectif de parents se relaie pour analyser les fiches techniques que la Caisse des Ecoles consent parfois à leur fournir : légumes en conserves qui voyagent d’un bout à l’autre de l’Europe, aliments qui contiennent des additifs et du sucre partout :  dans la sauce tomate, les yaourts… « jusque dans les "manchons de poulet" » » s’énerve Marie. Le collectif visite aussi la cuisine centrale, implantée bien loin de l’école, chargée de la fabrication de 14 000 repas par jour pour les enfants de l’arrondissement, qui gère aussi les repas de ceux du 2ème arrondissement de Paris. « Dans ce lieu minuscule où les employés travaillent à des cadences infernales, on a bien compris qu’il était impossible de « cuisiner ». Les employés se contentent d’assembler dans de grands bacs des aliments surgelés en les arrosant de sauce. Point. Où est le plaisir, où est l’envie de bien faire ? » Marie est dépitée.

Cantine scolaire : où sont passées les cuisines ?

La journaliste Sandra Franrenet s’est penchée sur le problème. Dans son livre*, elle explique comment fonctionnent les cuisines de la majorité des cantines scolaires françaises : « Contrairement à il y a trente ans, où les cantines avaient chacune des cuisines et des cuisiniers sur place, aujourd’hui, un tiers environ des collectivités sont en « délégation de service public ». C’est-à-dire qu’elles délèguent leur repas à des prestataires privés." Parmi eux, trois géants de la restauration scolaire -  Sodexo (et sa filiale Sogeres), Compass et Elior - qui se partagent 80 % d’un marché estimé à 5 milliards d'euros. Les écoles n’ont plus de cuisine : les plats sont préparés dans des cuisines centrales qui fonctionnent bien souvent en liaison froides. « Ce sont d'ailleurs plutôt des « lieux d’assemblages » que des cuisines. Les aliments sont préparés 3 à 5 jours à l’avance (les repas du lundi sont par exemple préparés le jeudi).  Ils arrivent souvent congelés et sont la plupart du temps ultra transformés. » explique Sandra Franrenet. Or, quel est le problème de ces aliments ?  Anthony Fardet** est chercheur en alimentation préventive et holistique à l’INRA de Clermont-Ferrand. Il explique : « Le problème des repas de collectivités préparés dans ce type de cuisine c’est le risque d’avoir beaucoup de produits « ultra-transformés ». C’est-à-dire des produits qui contiennent au moins un additif et/ou un ingrédient d’origine strictement industrielle de type « cosmétique » : qui modifie le goût, la couleur ou la texture de ce qu’on mange. Que ce soit pour des raisons esthétiques ou de coût toujours plus bas. En fait, on vient camoufler ou plutôt « maquiller » un produit qui n’a plus vraiment de goût… pour donner envie de le manger. »

"On pense même qu’il pourrait y avoir un lien entre certains additifs et les troubles de l’attention chez les enfants. Par principe de précaution, on devrait donc les éviter ou n’en consommer que très peu… "

Cantine scolaire : des risques de diabète et de « foie gras »

Plus généralement, le chercheur observe que les plateaux des écoliers contiennent trop de sucre : dans les carottes en entrée, dans le poulet pour qu’il ait l’air croustillant ou plus coloré et dans la compote au dessert... sans parler des sucres déjà consommés par l'enfant le matin au petit-déjeuner. Il reprend : « Ces sucres sont généralement des sucres cachés qui créent de multiples pics d’insuline… et derrière une baisse d’énergie ou des petites fringales ! Or, l’OMS recommande de ne pas dépasser 10 % de sucres en calories quotidiennes (incluant sucres ajoutés, de jus de fruits et de miel) pour éviter la création de graisse sous cutanée qui mène au surpoids, l’insulino-résistance qui dégénère en diabète ou le risque de « foie gras », qui lui aussi peut dégénérer en NASH (une inflammation du foie). » L’autre problème de ce type d’aliments industriels, ce sont les additifs. On les utilise massivement depuis seulement 30-40 ans environ, sans vraiment connaitre comment ils agissent dans notre corps (par exemple sur la microflore digestive), ni comment ils se recombinent avec d’autres molécules (qu'on appelle l’effet « cocktail »). Anthony Fardet explique : « Certains additifs sont si petits qu’ils passent toutes les barrières : ce sont des nanoparticules dont on ne sait pas grand-chose sur leurs effets sur la santé à long terme. On pense même qu’il pourrait y avoir un lien entre certains additifs et les troubles de l’attention chez les enfants. Par principe de précaution, on devrait donc les éviter ou n’en consommer que très peu… au lieu de jouer aux apprentis sorciers ! ».

Un programme national nutrition pas assez exigeant

Pourtant, les menus de la cantine sont censés respecter le Programme national nutrition santé (PNNS), mais Anthony Fardet ne trouve pas ce plan assez exigeant : « Toutes les calories ne se valent pas ! Il faudrait mettre l’accent sur le degré de transformations des aliments et des ingrédients. Les enfants consomment en moyenne environ 30 % de calories ultra-transformées sur une journée : c’est beaucoup trop. Il faut revenir à un régime alimentaire qui respecte la règle des trois V : « Végétal » (avec moins de protéines animales, fromage compris), « Vrai » (aliments) et « Varié ». Notre organisme, et la planète, s’en porteront beaucoup mieux ! » De leur côté, dans un premier temps, le collectif « Les enfants du 18 » n’a pas été pris au sérieux par la mairie. Très remontés, les parents voulaient inciter les élus à changer de prestataire, le mandat de la Sogeres arrivant à sa fin. En effet, cette filiale du géant Sodexo, gérait le marché public depuis 2005, soit depuis trois mandats. Une pétition a été lancée, sur change.org. Résultat : 7 500 signatures en 3 semaines. Pourtant, cela n’a pas suffit. A la rentrée, la mairie a resigné pour cinq ans avec l’entreprise, au grand désespoir des parents du collectif. Malgré nos demandes, la Sodexo n’a pas souhaité répondre à nos questions. Mais voici ce qu’ils répondaient fin juin sur la qualité de leurs prestations par la commission « alimentation industrielle » de l’Assemblée nationale. Concernant les conditions de préparation, les experts en nutrition de la Sodexo évoquent plusieurs problèmes : la nécessité pour eux de s’adapter à des « cuisines centrales » (ce ne sont pas eux qui sont propriétaire des cuisines mais les mairies) et « l’accompagnement des enfants » qui n’apprécient pas toujours les plats proposés. La Sodexo cherche à s’adapter au marché et affirme travailler avec des grands chefs pour changer la qualité des produits. Elle assure avoir reformé ses équipes pour « qu’ils réapprennent à faire des quiches et des crèmes desserts » ou travailler avec ses fournisseurs pour par exemple retirer les matières grasses hydrogénées des fonds de tartes industriels ou réduire les additifs alimentaires. Une démarche nécessaire vu l’inquiétude des consommateurs.

Cantine scolaire : du plastique dans les assiettes ?

A Strasbourg, les parents se félicitent. Dès la rentrée 2018, une partie des 11 000 repas servis aux enfants de l’agglomération auront été réchauffés dans… de l’inox, un matériau inerte. L’amendement visant à interdire le plastique dans les cantines avait été retoqué fin mai à l’Assemblé nationale, jugé trop coûteux et trop difficile à mettre en place. Pourtant, certaines mairies n’ont pas attendu le coup de sifflet de l’Etat pour se débarrasser du plastique dans les cantines, poussés là aussi par des collectifs de parents, comme le collectif « Projet cantines Strasbourg ». A la base, Ludivine Quintallet, jeune mère strasbourgeoise, qui est tombée des nues en comprenant que le repas « bio » de son fils était réchauffé... dans des barquettes en plastique. Or, même si les barquettes sont homologuées par rapport à des normes dites « alimentaires », quand il est chauffé, le plastique laisse migrer des molécules issues de la barquette vers le contenu, c'est-à-dire le repas. Après une lettre dans les médias, Ludivine Quintallet se rapproche d’autres parents et monte le collectif « Projet cantines Strasbourg ». Le collectif est mis en relation avec l’ASEF, Association santé environnement France, un rassemblement de médecins spécialisés en santé environnementale. Les spécialistes confirment ses craintes : l’exposition répétée, même à très faible dose, à certaines molécules chimiques issues du contenant en plastique, peut être à l'origine de cancers, troubles de la fertilité, pubertés précoces ou surpoids. « Projet Cantine Strasbourg » travaille alors sur le cahier des charges de la cantines et le prestataire, Elior, propose de passer à l’inox… pour le même prix. En septembre 2017, c’est acté : la ville de Strasbourg change son mode de stockage et de réchauffage pour passer au tout inox. Au début 50 % des cantines prévues à l’horizon 2019 et puis 100 % en 2021. Le temps d’adapter l’équipement, le stockage et la formation des équipes qui doivent transporter des plats plus lourds. Une belle victoire pour le collectif de parents qui s’est depuis rallié à d’autres collectifs dans d’autres villes françaises et a créé : « Cantines sans plastique France ». Les parents de Bordeaux, Meudon, Montpellier, Paris 18e et Montrouge s’organisent pour que les enfants ne mangent plus dans des barquettes en plastique, de la crèche au lycée. Le prochain projet du collectif ? On le devine : réussir à interdire le plastique dans les cantines françaises pour tous les petits écoliers.

Les parents reprennent la cantine

A Bibost, un village de 500 habitants dans l’Ouest Lyonnais, Jean-Christophe est impliqué dans la gestion bénévole de la cantine de l’école. Son association assure les relations avec le prestataire et emploie deux personnes mises à disposition par la mairie. Les habitants du village se relaient pour servir bénévolement chaque jour les plats à la vingtaine d’enfants de l’école mangeant à la cantine. Déçus eux aussi par la qualité des repas, servis dans des barquettes en plastique, les parents d’élèves cherchent une alternative. Ils trouvent un traiteur à quelques kilomètres prêt à préparer les repas des enfants : il se fournit chez un boucher du coin, prépare lui-même ses fonds de tarte et ses desserts et achète tout ce qu’il peut local. Le tout, pour 80 centimes de plus par jour. Quand les parents présentent leur projet aux autres parents de l’école, il est adopté à l’unanimité totale. « Nous avions prévu une semaine de test », explique Jean-Christophe, « où les enfants devaient mettre une note à ce qu’ils mangeaient. Ils ont tout aimé et nous avons donc signé. Pourtant, il faut voir ce qu’il prépare : certains jours, ce sont des pièces de boucher dont on a plus l’habitude, comme la langue de bœuf. Et bien les enfants mangent quand même ! » A la rentrée prochaine la gestion sera reprise par la mairie mais le prestataire reste le même.

Cantines scolaires : alors que faire ?

On rêve tous de voir nos enfants manger des produits bio de qualité et des plats qui ont bon goût. Mais comment faire pour que ce qui ressemble à un rêve éveillé se rapproche le plus possible de la réalité ? Certaines ONG, comme Greenpeace France ont lancé des pétitions. L’une d’elle rassemble des signataires pour qu’il y ait moins de viandes à la cantine. Pourquoi ? Dans les cantines scolaires, entre deux et six fois trop de protéines seraient servies par rapport aux recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation. La pétition lancée à la fin de l’année dernière atteint désormais 132 683 signatures. Et pour ceux qui veulent agir plus concrètement ? Sandra Franrenet donne des pistes aux parents : « Allez manger à la cantine de vos enfants ! Moyennant le prix d’un repas, cela vous permettra de vous rendre compte de la qualité de ce qui est proposé. Demandez également à visiter la cantine :  la configuration des lieux (légumerie, marbre pour la pâtisserie,...) et les produits présents dans l'épicerie vous aideront à voir comment et avec quoi les repas sont fabriqués. Autre piste à ne pas négliger : aller à la commission restauration de la cantine. Si vous n’arrivez pas à faire évoluer le cahier des charges ou si vous constatez que ce qui était promis (repas bio, moins de gras, moins de sucre…) n’est pas respecté, alors tapez du poing sur la table ! Les élections municipales sont dans deux ans, c’est l’occasion d’aller dire qu’on n’est pas content. Il y a un vrai moyen de pression c’est l’occasion d’en profiter. ». A Paris, Marie a décidé que ses enfants ne mettront plus les pieds à la cantine. Sa solution ? S’organiser avec d’autres parents pour prendre à tour de rôle les enfants sur la pause méridienne. Un choix que tout le monde ne peut pas faire.

* Le livre noir des cantines scolaires, éditions Leduc, sortie le 4 septembre 2018
**Auteur de « Halte aux aliments utratransformés, mangeons vrai » Thierry Souccar éditions

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