Les jeunes regardent du porno. Oui. Inutile d’enfouir votre tête dans le sable, de fermer les yeux ou de vous boucher les oreilles : ils sont bien plus concernés qu’on ne le pense, et ce, de plus en plus tôt.
Addictive, accessible, anonyme, abordable… la pornographie laisse des traces irréversibles dans leur psyché et affecte durablement leur vision du consentement et des rapports femmes-hommes. Alors comment prévenir les dégâts ? Mise au point avec nos deux experts, María Hernández Mora Ruiz del Castillo, psychologue clinicienne et Thomas Rohmer, spécialiste en protection de l’enfance.
Quels filtres pour protéger sa connexion ?
Si les logiciels ne remplacent pas la surveillance quotidienne et le dialogue, la mise en place d’un contrôle parental permet de restreindre l’accès des enfants à certains contenus inadaptés, dont la pornographie. Veillez à prévenir le vôtre de cette protection pour partir sur des bases de confiance, et profitez-en pour lui rappeler ce qu’est le web : un outil ouvert sur le monde, mais dans lequel on trouve également des contenus violents et potentiellement traumatisants.
Tous les fournisseurs d’accès à internet incluent le contrôle parental dans leurs offres, et il vous suffit de vous rendre sur le site de votre fournisseur d’accès internet et de cliquer sur le lien du contrôle parental.
Les smartphones Apple (iOS) et ceux sous Android intègrent directement des fonctionnalités de contrôle parental en activant les paramètres d’accessibilité. N’oubliez pas les tablettes, les consoles de jeux et enceintes connectées qui peuvent également être sécurisées.
Avant qu’il ou elle ne tombe dessus, comment (bien) lui en parler ?
- Dès la maternelle, vous pouvez lui parler du consentement et du respect du corps : « Personne n’a le droit de te toucher, et inversement ». Infusez l’idée que son corps est un trésor à chérir et qu’il a de la valeur.
- Plus tard, quand l’occasion se présente, présentez la sexualité comme un acte naturel, qui doit être bon pour soi et pour l’autre : faire l’amour et avoir du désir, ce n’est pas honteux, et cela ne doit engendrer ni violence ni dégradation du corps.
Cet acte se fait dans l’intimité et le respect de celui ou celle avec qui on a choisi de le partager. À la maison, mettez à disposition des livres (adaptés à son âge) sur la sexualité pour qu’il puisse les lire tranquillement et voir que c’est un sujet accessible et sain.
J’ai constaté qu’il en regardait… que faire ?
N’agissez pas avec colère mais adoptez plutôt une posture bienveillante. Tentez de comprendre ce qui l’a poussé à en consommer, et surtout, expliquez-lui que la sexualité n’a rien à voir avec la pornographie, celle-ci est néfaste pour lui. Si le sujet vous gêne, proposez à un membre de votre famille plus à l’aise sur le sujet de lui en parler.
N’hésitez pas à offrir à votre ado quelques livres sur la sexualité et partagez-lui des comptes Instagram dédiés à l’éducation sexuelle comme Jemenbatsleclito ; Tasjoui ; Speachbot… ou sur YouTube, la chaîne On parle de sexe. Et sur internet, des sites pointus tels que : Jeprotegemonenfant.gouv.fr/pornographie ou Onsexprime.fr (de Santé publique France)
Est-il addict au porno ?
Si votre enfant ne vous en parle pas, plusieurs signes peuvent indiquer une addiction au porno : irritabilité, insomnie, besoin de s’isoler dans sa chambre, interdiction aux parents d’y entrer, virus sur l’ordinateur, historique de navigation systématiquement effacé, draps salis souvent, décrochage scolaire…
Son cerveau, encore immature n’est pas préparé à recevoir de telles images et, pour mieux les comprendre, il voudra y retourner. Une fois devant le film, son corps s’apaisera via la masturbation. Et puisque les capacités de régulation du jeune sont encore fragiles, l’addiction se met alors rapidement en place.
À la clé : un sentiment de honte, de dégoût de soi, de culpabilité, un rapport troublé au corps, une association plaisir et violence, une vision dégradée des femmes, et parfois le développement d’une sexualité précoce et déviante qui peut donner lieu à des expériences traumatiques.
Comment j’aide mon ado à décrocher du porno ?
Expliquez-lui que ces images ne reflètent pas la réalité, que la sexualité est faite de consentement, de confiance et de respect… et qu’il s’agit de tournages avec des artifices et un envers du décor peu reluisant pour les acteurs et actrices qui jouent dedans.
Au besoin, n’hésitez pas à vous tourner vers des associations en lien avec des psychologues formés, telles que Assodeclic. com ou encore l’observatoire de la Parentalité & de l’Éducation numérique (OPEN).
Un impact sur la notion du consentement
L’exposition précoce à la pornographie banalise et met sur le même plan tous les rapports sexuels jusqu’au plus trash. Si cela ne se traduit pas par une croissance de la délinquance (bien que certains passages à l’acte soient parfois clonés sur des scénarios porno), le langage des ados et leurs insultes sont empreints de cet univers. » nous explique Stéphane Blocquaux, docteur en Science de l’Information et de la Communication, et chercheur associé à l’ENSAM.
« Cela a un impact sur la notion de consentement. Ainsi, un collégien peut dire à une camarade de classe : « Tu as envie de me faire ça, car tu es une fille, et dans les pornos, elles adorent ». Enfin, je distingue les films qui montrent des rapports sexuels classiques et ceux de type zoophilie, pédophilie, scatologie… accessibles en deux clics et absolument terrifiants ! Si ça traumatise un adulte, imaginez les conséquences dramatiques chez des cerveaux tout neufs… », explique Stéphane Blocquaux.
"Cela a un impact sur la notion de consentement", Stéphane Blocaux, docteur en Science de l'Information et de la Communication.
Les Maternelles : Qu’engendre cette exposition précoce au porno pour la société ?
Stéphane Blocquaux : Étonnament, elle ne fait pas baisser l’âge moyen du premier rapport sexuel (17 ans), mais elle banalise et met sur le même plan tous les rapports sexuels jusqu’au plus trash. Si cela ne se traduit pas par une croissance de la délinquance (bien que certains passages à l’acte soient parfois clonés sur des scénarios porno), le langage des ados et leurs insultes sont empreints de cet univers.
Cela a un impact sur la notion de consentement. Ainsi, un collégien peut dire à une camarade de classe : « Tu as envie de me faire ça, car tu es une fille, et dans les pornos, elles adorent ». Enfin, je distingue les films qui montrent des rapports sexuels classiques et ceux de type zoophilie, pédophilie, scatologie… accessibles en deux clics et absolument terrifiants ! Si ça traumatise un adulte, imaginez les conséquences dramatiques chez des cerveaux tout neufs...
Quelle réglementation mettre en place pour mieux protéger les mineurs ?
S. B. : L’Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a récemment saisi le tribunal judiciaire de Paris pour bloquer 5 gros sites pornographiques qui ne respectent pas le contrôle d’âge des visiteurs.
À mon sens, ça ne changera rien car il existe des milliards de clones ! Et la mise en place d’un paiement en ligne ferait bondir les consommateurs qui ne sont pas prêts à renoncer à leurs privilèges acquis... La vérité, c’est qu’on ne sait pas comment réguler internet : dès l’âge de 11 ans, les jeunes connaissent le système VPN qui anonymise leurs traces avec une adresse IP sous couverture. Ils accéderont toujours à ces sites. La solution viendra de l’éducation, mais pour ça, il faut des moyens.
C’est-à-dire ?
S. B. : Injecter plus d’argent au niveau de l’Éducation nationale pour former des bataillons de personnes qualifiées pour parler aux jeunes de ce sujet, mais aussi mettre en place un programme d’éducation sexuelle et affective dès la maternelle. Il faut pouvoir leur parler du corps et du consentement le plus tôt possible, car la culture porno dans laquelle ils baignent est rapide, et elle ne prendra pas de gants quand ils tomberont dessus. Il faut former, éduquer et lever les tabous !
Le “revenge porn”, c’est quoi ?
La vengeance pornographique consiste à partager sur le web des contenus sexuellement explicites sans le consentement de la personne qui y apparaît. Les victimes (adolescentes pour la plupart) ont un jour envoyé – volontairement ou sous l’effet d’un chantage affectif, voire de menaces – une vidéo ou des images d’elles dénudées, à caractère sexuel, à leur partenaire.
Ces contenus sont ensuite dévoilés par ce dernier sur les réseaux sociaux, bien souvent après une rupture amoureuse ou un conflit. Qualifié de délit depuis la loi du 7 octobre 2016, le revenge porn expose à deux ans d’emprisonnement
et 60 000 euros d’amende.
A lire sur le sujet…
“Le biberon numérIque”, de Stéphane Blocquaux (éd. Artège)
“A un clic du pire”, d’Ovidie (éd. Anne Carrière)